Salon du livre 2008, la littérature en otage !

Publié le 17 mars 2008 sur IndymediaParis et Lille
Auteur : Ramdane ISSAAD
E-mail : rushes.infos@gmail.com
Groupe : http://rushes.yi.org
Auteur : Ramdane ISSAAD

Voir les commentaires
 
impression Imprimez
Enregistrer au format PDF  Enregistrez au format pdf

Alors qu’une alerte à la bombe à la suite d’un appel anonyme vient de contraindre à l’évacuation du Salon du Livre le jour même du second tour des élections municipales, on constate que la littérature et les auteurs sont de plus en plus otages des marchands et des politiques. Une mise au point sous forme de témoignage d’auteur s’imposait.
 

En France, les marchands d’armes et les agences de communication ont réussi en 20 ans a contrôler l’ensemble de l’édition et de la presse. Un grignotage lent mais très efficace qui a les conséquences que l’ont connaît. Il faut que ce soit un Dany Laferrière, un flamboyant nègre canadien d’origine haïtienne qui relève le défi de la littérature libre avec « Je suis un écrivain japonais » pour que l’on ait encore l’impression de respirer dans le bocal académique et snob de l’édition française.
 

Quand on sait que Valery Giscard d’Estaing est devenu académicien des Belles Lettres avec un seul et unique roman racontant sans grand génie les tribulations amoureuses d’un châtelain chasseur et libertin, on mesure la distance parcourue depuis Marguerite Yourcenar ! Mais la situation se corse singulièrement depuis que les politiques ont décidé de faire du Salon du Livre déjà gravement dénaturé par l’édition marchande, un outil de communication d’Etat. Cette année il a fallu inaugurer sous l’égide d’Israël, l’année prochaine ce sera peut-être la Chine, ou la Russie....
 

Un scandale sordide car les Etats n’ont pas à être associés à la littérature dont l’objectif premier est d’être universelle. Nous avons tellement régressé vers le clanisme et le nationalisme borné qu’Erasme devrait bientôt être inscrit au chapitre des œuvres subversives. Bien entendu, il y a une littérature issue d’auteurs, otages de leur nationalité, israélienne ou autre, comme le sont tous les auteurs qui visent à délivrer un message digne de leurs glorieux prédécesseurs. Et il fallait les inviter. Mais l’Etat Français à tenu à ce que tout le monde passe sous la bannière éclatante de l’Etat d’Israël, quitte à prendre une seconde fois en otages les auteurs (tenus par leur éditeur), et le public qui n’y comprend que couic, sinon que les vilains « islamistes » et les nazis vont essayer de mettre des bombes.
 

Un bon texte ne peut exalter le nationalisme primaire ou l’appel à la haine. Relisez Socrate, Pascal, Diderot, Steinbeck, Faulkner, on n’y décèle nulle part la revendication d’appartenir à une Nation avant d’appartenir au genre humain. Ils nous touchent tous parce qu’ils sont au delà de leur adhérence et adhésion culturelle. Ils visent l’essence de l’être et de ses passions et nous nous reconnaissons tous en leurs personnages. Leurs propos traversent les siècles sans difficultés car l’universel est intemporel. Et Celine ? et Brasillach, persifleront les vicieux amateurs de Michel Houellebecq et autres souteneurs de « Bienveillantes ». On leur rétorquera que Voyage au Bout de la Nuit et Mort à Crédit sont des romans universels par la description parfaite qu’ils donnent des pires, (et des rares meilleures) facettes de l’âme humaine, le style narrateur oralisé étant parfaitement ciselé et novateur. Pour la suite, on retiendra surtout la protection de l’auteur par les autorités nazies ce qui le situe comme otage consentant. Car ce gigolo avait opté pour le droit du plus fort, admirant les salauds au nom d’un désespoir chic à la Cioran. Céline a choisi un Etat génocidaire comme protecteur. Basta.
 

Nous ne sommes pas là pour juger des autres mais pour évoquer les faux-semblants actuels de l’édition française productrice de littérature marchande dénaturée ou pire, purement académique ou commerciale. C’est la raison pour laquelle, au risque de faire glapir les camarades libertaires, j’userai de la première personne pour raconter ce qu’un « auteur francophone de naissance » a pu vivre en pratiquant ce milieu faisandé pendant plus de vingt ans avant de tirer sa révérence publique, certain après cette exclusion volontaire de ne plus risquer de recevoir ne serait-ce qu’une entrée gratuite de la part de ses anciens éditeurs. Le moi est haïssable, certes, mais il faut bien un minimum d’ego pour faire un auteur.


Manifestation d'artistes libres qualifiés "d' Intermittents"


" Il y a trente ans, j’avais déjà le démon. Celui de jouer avec les mots comme avec les notes, de lire et d’écrire, sans discontinuer. Mais voilà, suivant la voie raisonnable, j’étais devenu toubib, assez facilement parce que mon cerveau à géométrie variable et état de conscience élargie me le permettait. On sortait des années psychédéliques...Cependant le démon était là, plus vorace que jamais. J’écrivais sans cesse entre deux consultations. Des notes, de plus en plus de notes. Alors un jour, j’ai explosé et décidé de percer le mur d’entregent de la grande édition. La vraie, pas le compte d’auteur qui fait plaisir à môman et ruine le rêveur.
 

J ai vendu le cabinet pour écrire. J’ai joué mon va tout et plongé dans l’inconnu au grand désespoir de mes proches.
Suivant à la lettre les conseils de dérive urbaine du regretté Debord, j’avais fini par rencontrer quelques représentants du milieu artistique nocturne. Richard Bohringer encore en belle déjante, la bande à Higelin, Armande la Diva, et surtout grâce à mon ange gardien, la chorégraphe Marcia Moretto, j’étais tombé un soir sur la grande prêtresse de l’édition d’alors, une grosse dame alcoolique qui faisait pipi sous elle mais avait l’œil pour repérer les bonnes plumes et les coups d’édition. Et comme j’avais un patronyme arabo-musulman, et que Sabra et Chatila me filaient des cauchemars, j’ai écrit en trois mois « Le Vertige des Abbesses » en me mettant dans la peau d’Elie Cohen, mon double hébreux, petit médecin de Montmartre qui découvre les barbelés israéliens lors d’un séjour touristique.
A l’inverse de Mark Halter, un « Beur » se met dans la peu d’un « Juif » et démolit la médecine du fric et la politique d’apartheid d’Israël ...Evidemment la critique unanime a adoré et j’ai eu droit à mon premier Salon du Livre...Richard Bohringer qui m’avait appuyé auprès du directeur de chez Denoël était content. Il tirait à 200 000 et moi à 5000. J’avais de la critique mais pas droit à Pivot ou à tout autre média de masse qui m’aurait fait connaitre ...Des droits d’auteur à concurrence. Loin d’être découragé, j’y ai cru encore plus fort. J’ai continué et les tirages des romans suivants sont restés aussi miteux avec toujours les excellentes critiques qui surviennent six mois plus tard alors que les livres sont depuis longtemps retirés des rayons. Et quels rayons ! « Littérature francophone du Maghreb » alors que je suis né français sur le sol français. Pour la FNAC et les télés, je faisais partie de ce ghetto ethnique qu’on invite à radio Beur et Radio Orient mais pas sur fRance 2. Confiant en l’intelligence des lecteurs, je continuais d’allumer le feu. « Laisse moi le Temps », éloge de la paresse au pays du chômage, puis « La Dictature d’Hippocrate » un essai au vitriol contre le complexe médico-industriel, prenant ainsi la suite d’Ivan Illich avec sa Némésis médicale. A ce jour, les chercheurs me citent encore dans leurs travaux, mais ça ne me rapporte pas un kopeck. J’ai commencé à me lasser gravement de la farce Je ne vendais rien, ma famille commençait à me traiter de raté... Parti seul à Sarajevo pour Channel 4 et Arte je tournais des reportages le jour à portée des tirs serbes, et la nuit j’écrivais « L’enchaînement » à l’Holliday Inn pour laisser un instantané littéraire à mes amis. Denoël avait changé de directeur, j’étais sans éditeur.
En me rappelant à son bon souvenir des nuits parisiennes, j’ai persuadé en 1996 la papesse Françoise Verny de lire mon manuscrit et cela m’a entrouvert la porte de Flammarion. J’étais certain d’avoir enfin droit au chapitre, je voulais en découdre avec BHL, me dézinguer Houellebecq sur un plateau, mais là encore, on m’a décoré d’un bon papier dans le Monde avec quatre mois de retard, et PPDA m’a gentiment remercié comme d’hab’. Ils parlaient tous de Sarajevo, même le jeune Alexandre Jardin pérorait sur la question, j’en revenais tout juste, j’y avais laissé des plumes, mon roman plaisait à la critique, alors pourquoi ne me demandait-on jamais mon avis sous les caméras, comme avec les autres « vrais écrivains » ?
Je m’en inquiétais auprès des attachées de presse J’étais encore naïf et imbu du statut romanesque de l’auteur. Je me prenais pour Romain Gary...
La Mère Verny m’a clairement reproché de ne pas choisir « mon créneau » Elle voulait dire par là que je ne parlais pas assez de « la tessi » de la « mosquée » ou du « business ». Je n’écrivais pas comme un « Beur ordinaire » qui ne parle que de sa communauté et de sa misère. Elle m’a aussi cité ce cher Azouz Beggag, ainsi que l’ineffable Tahar Ben Jelloun, tous deux parfaitement conformes à ce que la lectrice française attend d’un auteur oriental. Cassé par ce nouvel échec, cette année-là je ne suis pas allé au Salon du Livre...
 

Cinq ans plus tard, au bout du rouleau, j’ai décidé de tenter une immersion de trois mois en temps que « stagiaire rédacteur en chef » chez la baronne du PAF Mireille Dumas, ce qui m’a permis d’écrire « Rushes », un roman où pour couronner le tout, je soutiens une analyse du génocide rwandais étayée par le rapport 1271 dit rapport Paul Quilès. De très nombreux éléments d’enquête me permettaient de développer une fiction où la France apparaissait comme complice active du génocide. Aux antipodes du discours du Juge Bruguière.
 

Les Editions du Seuil m’ont ouvert les bras. Ma réputation m’avait précédé : on disait de moi que j’étais « ingérable ». Ce qui est vrai car je ne pense pas qu’un auteur puisse être pensé en termes comptables. Bref ; Rushes paru en 2003 a emballé tous ses lecteurs mais l’attachée de presse m’a fait comprendre qu’elle ne tenait trop pas à « se griller avec les télés » vu le portrait peu flatteur que je dressais de la situation matérielle et morale du milieu.
 

Il est vrai que je n’y étais pas allé de main morte. De nouveau confiant en ma bonne étoile en dépit du silence absolu des media, je suis courageusement retourné faire le singe au Salon du Livre. J’y ai vu la fête glacée que l’on faisait à Jean Pierre Le Dandec et Amélie Nottomb...Nauséeux ! Je suis parti sur la pointe des pieds en les laissant déguster les petits fours avec le Ministre équarrisseur du statut des artistes qui sévissait à l’époque. Le lendemain j’ai découvert que l’éditeur avait déjà mis mon bouquin en discount chez Joseph Gibert, soit à peine cinq jours après sa sortie officielle.
K.O. debout, j’ai quand même réussi à pondre en urgence un dernier roman incendiaire pour dire ciao à la compagnie en 2007. « Inconnu à l’Adresse Indiquée. » A 200 à l’heure. En crachant mon mépris du quadrillage sécuritaire et du trafic des mères porteuses, en montrant la collusion entre le juridique, le policier, le financier, dressant en toile de fond de ce « road-novel », l’état de dégénérescence avancée du monde sarkozien que nous subissons désormais. Avec un sourire à l’espérance pour ceux qui savent lire entre les lignes. Samy Naceri l’a lu en prison. Il s’y est reconnu d’emblée...
 

Bien sûr le Seuil n’en a pas voulu. Ces charmants messieurs m’ont fait comprendre qu’ils recherchaient plutôt des « auteurs qui vendent » Si bien que je viens de terminer mon cycle d’écrivain « Beur atypique » en atterrissant chez l’éditeur attitré des exogènes francophones, à savoir l’Harmattan. Un petit éditeur riche de milliers de titres qui demande au pigeon d’assurer son propre service de presse, avec 50% de remise gracieuse sur les exemplaires fournis...On frôle ici le compte d’auteur, mais c’est toujours mieux que rien. Bien entendu, pas de téloche pour l’Harmattan, et pour ma pomme encore moi, et le silence de la critique garanti. Donc après six romans et un essai, l’auteur finit totalement inconnu au bataillon. Sauf à la BN. Quant au regard méprisant des proches sur la carrière foirée de l’écrivaillon, je ne vous en parle même pas. En tout cas, je ne regrette rien, et au moins cette année, je n’aurais pas eu à courber l’échine sous un drapeau pour entrer au temple du livre marchandise. Et quel drapeau ! Celui de l’Etat le plus propre à créer la polémique avec tous les pays arabes, sachant que la plupart des auteurs qui en sont ressortissants auront des comptes à rendre en rentrant. Imaginez le pied s’ils sont photographiés serrant la main à Shimon Peres. Auteurs-otages des politiques. Comme toujours, mais cette fois de manière directe, visant clairement à marquer l’empreinte. Parfait pour renforcer les tensions et relancer l’islamophobie ambiante. Je m’était dit, voyant le tour que prenaient les choses, que je n’aurais de toute façon pas eu envie de risquer d’être déchiqueté par une bombe posée par un cinglé de la foi, un fanatique de la lutte armée ou tout autre provocateur des "services". Je n’avais pas envie d’être otage. Cet après midi, dimanche 16 mars, j’apprends à la radio qu’un zozo a lancé une alerte à la bombe. On saura peut-être qui. J’espère que ce n’était pas un avertissement sérieux et que le salon ne connaitra pas de drame, car ce n’est qu’une foire de marchands de papier, ne l’oubliez pas. En tout cas, les populistes qui aiment jouer la stratégie de la tension doivent se régaler....
 

Voilà, tout est dit, mon blog vous confirmera la véracité de ce long discours qui ne vise qu’à dénoncer l’incroyable appauvrissement de la vie intellectuelle officielle française en 2008. Je ne vends pas mes livres, ils sont désormais introuvables ou épuisés. Je suis sorti du jeu et j’ai compris à mes dépens que les dés étaient pipés..."


Souvenir de Beit Hanoun...


Le grand malheur est que le plus souvent les libertaires les mieux éclairés ne font en la matière que suivre le courant et ne parlent que des livres dont on parle.
 

Contrairement aux USA nous n’avons pas en France un réseau d’éditeurs et diffuseurs alternatifs assez puissants pour promouvoir une autre littérature que celle agrée par les officines affiliées aux grands trusts de l’armement et des medias. Ils font et défont les auteurs, jouent les avec les titres des « produits littéraires » comme avec ceux de la bourse. Surnagent alors les rares génies, les chanceux, les opportunistes, et bien sûr, la littérature anglo-saxonne, gagnante absolue de ce jeux de massacre puisqu’elle représente désormais l’essentiel des ventes françaises.
La littérature n’est pas une marchandise mais une arme de subversion massive qui doit être capable de divertir autant que d’éclairer sur notre condition tragi-comique. Prenez en référence ceux du XXème siècle qui prenaient des risques sur le fond et la forme, Kessel, Semprun, Henri Alleg, Upton Sinclair, James Ellroy, Sarraute, Malcolm Lowry, et tant d’autres, dont d’innombrables oubliés des « charts de l’édition ». Cherchez à faire connaitre les aventuriers de l’esprit d’aujourd’hui, ne renforcez pas par vos critiques la notoriété de nos faiseurs appointés, nos Attali, BHL et Beigbeder de superette, IGNOREZ-LES ! Et fédérons-nous pour un CONTRE SALON DE LA LITTERATURE LIBRE ! Nous sommes assez puissants, encore faudrait-il pour cela nous fédérer, mais l’utopie est (encore) autorisée.
En attendant, la tragi-comédie shakespearienne continue. L’alerte à la bombe de ce dimanche 16 mars 2008 au Salon du Livre reste à peu près dans ce registre, même si le rire moqueur de l’art vivant si cher à Albert Cossery y manquait. A quand des poètes apatrides en insurrection sur une pile de livres pour haranguer la foule des badauds en otages ?
 

Ramdane ISSAAD
 

Auteur francophone non-musulman, libertaire.